par Simon Jessop et Kate Abnett
L'assouplissement des règles de l'Union européenne (UE) en matière de développement durable va simplifier la vie des entreprises, mais aussi compliquer l'identification de celles qui s'engagent réellement dans une transition vers des activités bas carbone, selon des investisseurs.
Après des mois de pressions de la part d'acteurs industriels et de gouvernements, qui voient dans les lourdeurs administratives au sein du bloc communautaire un frein à la compétitivité des entreprises européennes, l'UE a accepté mardi de réduire considérablement la portée de deux directives en matière de divulgation d'informations relatives au développement durable.
Les changements concernent la directive obligeant les entreprises à publier des informations détaillées sur leurs performances environnementales (CSRD), ainsi que celle sur leur devoir de vigilance en matière de développement durable (CSDDD), qui les contraint à vérifier que leurs chaînes d'approvisionnement ne portent pas atteinte aux droits de l'homme et à l'environnement.
La CSDDD imposait également aux entreprises d'élaborer et de mettre en œuvre un plan aboutissant à zéro émission nette, mais cette obligation a été supprimée.
L'assouplissement de ces règles signifie que les investisseurs disposeront d'informations moins fiables et moins comparables sur les efforts des entreprises en matière de développement durable. Il leur sera donc plus difficile de déterminer lesquelles prennent au sérieux la réduction de leurs émissions, la gestion des risques climatiques et les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Selon Eleanor Fraser-Smith, responsable du développement durable chez Victory Hill Capital Partners, les nouvelles règles vont priver les investisseurs de données les aidant dans leurs prises de décision.
LE RISQUE D'UN CADRE "MOINS COHÉRENT"
"Oui, les obligations de l'UE sont devenues trop complexes, mais la solution réside dans des directives plus claires et une meilleure structure, pas dans un affaiblissement des règles. Revenir en arrière en matière d'exigences ne rend pas le système plus simple, cela le rend simplement moins cohérent."
Certains investisseurs jugent également que l'abandon des plans de transition climatique dans la directive sur le devoir de vigilance constitue une préoccupation majeure.
"Sans plans de transition crédibles, l'Europe risque de perdre en comparabilité, en visibilité sur ses progrès et de se priver d'un outil potentiellement utile pour accéder aux financements de la transition", a déclaré Carlota Garcia-Manas, responsable de la transition climatique chez Royal London Asset Management, qui gère environ 180 milliards de livres sterling.
"Les investisseurs s'appuient sur ces plans pour évaluer les risques et les opportunités liés au climat."
Hortense Bioy, responsable de la recherche en matière d'investissement durable chez Morningstar Sustainalytics, les changements à la réglementation européenne vont rendre les investisseurs responsables d'évaluer si les entreprises tiennent leurs promesses.
"Il incombera de plus en plus aux gestionnaires d'actifs proposant ces stratégies de demander des comptes aux entreprises", a-t-elle déclaré.
En vertu des modifications apportées à la CSRD, seules les entreprises employant plus de 1.000 personnes et réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 450 millions d'euros, à l'exclusion des sociétés financières, seront tenues de présenter un rapport.
"AFFAIBLISSEMENT SIGNIFICATIF"
Le seuil retenu dans la CSDDD est encore plus élevé : 5.000 employés et 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires net, avec une date d'entrée en vigueur retardée et un traitement des infractions au niveau national plutôt qu'au niveau de l'UE, ainsi qu'une plus grande flexibilité pour les entreprises quant à leurs obligations de publications.
Hans Stegeman, économiste en chef chez Triodos Bank, qui finance notamment des projets d'énergies renouvelables, la nouvelle réglementation constitue un "affaiblissement significatif des règles essentielles en matière de développement durable".
"La législation destinée à lutter contre le travail des enfants, la pollution de l'environnement et l'exploitation dans les chaînes d'approvisionnement est vidée de sa substance. Le champ d'application de la loi dite 'anti-aveuglement' a été considérablement limité", a-t-il déclaré.
Débattus depuis février, les assouplissements de la législation européenne font suite à des mois de pression de la part d'entreprises et de gouvernements, dont les États-Unis et le Qatar, qui ont prévenu Bruxelles que ces règles risquaient de perturber leur fourniture de gaz à l'Europe.
Les groupes industriels ont fait part de leur soulagement à la suite des changements annoncés par rapport à un régime de développement durable complexe, qui compte parmi les plus ambitieux au monde.
Selon Markus J. Beyrer, directeur général de BusinessEurope, l'UE tient ainsi sa promesse de réduire la bureaucratie.
"Même avec ces améliorations, les entreprises devront relever un défi de taille pour se conformer aux nouvelles règles", a-t-il cependant déclaré.
Oliver Moullin, directeur général de la finance durable au sein de l'Association des marchés financiers en Europe (Association for Financial Markets in Europe), a jugé pour sa part que les changements constituaient un pas vers la simplification, tout en appelant à aller plus loin dans la rationalisation.
"Malgré ces importants efforts de simplification, le cadre de l'UE sur la finance durable devrait rester le plus ambitieux et le plus complet au monde", a-t-il déclaré.
(Reportage Simon Jessop, version française Benjamin Mallet, édité par Sophie Louet)

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